L’accusation a enfin rendu sa copie. Comme le révélait L’Est Républicain, le parquet de Besançon a livré ce 21 mai son réquisitoire définitif, document qui résume en 537 pages l’ensemble des charges retenues à l’encontre de Frédéric Péchier. Le ministère public est convaincu que l’anesthésiste, mis en examen depuis 2017, a sciemment empoisonné 30 patients, dont douze mortellement, en polluant leurs poches de perfusion… Un bilan qui donne le vertige.
« Aucun équivalent dans les annales judiciaires françaises »
Le procureur de la République a détaillé, ce jeudi en conférence de presse, sept ans et quatre mois d’intenses investigations. « Une durée anormalement longue qui s’explique par l’extraordinaire complexité des faits. Le dossier d’instruction comporte 27 000 feuillets d’auditions, de constatations et d’expertises », précise Étienne Manteaux ». Une masse considérable d’informations collectées autour de ces fameux EIG (événements indésirables graves) d’ordre cardiaque, qui survenaient en bloc opératoire en lien avec les anesthésies.
« Les charges qui pèsent sur le mis en examen sont hors du commun. Il n’y a aucun équivalent dans les annales judiciaires françaises », insiste le procureur. Voici les grands axes du réquisitoire définitif, sur lequel s’appuiera le juge d’instruction pour décider « au cours de l’été » si oui ou non, un procès doit être organisé.
Fréquence « anormale » des arrêts cardiaques
Selon plusieurs spécialistes, la moyenne nationale de fréquence des EIG cardiaques fatals aux patients est d’un cas pour 100 000 anesthésies. « À la clinique Saint-Vincent durant neuf années, ce sont 27 empoisonnements présumés qui ont été identifiés, pour 22 500 opérations réalisées en moyenne par an, soit 172 000 anesthésies. Quand on se rapporte au ratio normal, on devrait constater moins de deux morts sur cette période. Mais ce sont douze morts qui ont été identifiés, un taux six fois supérieur à la moyenne nationale », indique le procureur. Autre facteur troublant : « Ces arrêts cardiaques restent inexpliqués, alors que la plupart du temps, de tels EIG trouvent a posteriori une explication cohérente ».
Cette réalité statistique est confortée par la dernière contre-expertise médicale. Pour la majorité des EIG suspects, examinés un par un, les experts concluent à « une suspicion forte », voire une « certitude » d’injections anormales et toxiques de plusieurs substances.
Péchier, dénominateur commun
Frédéric Péchier a exercé six mois à la Polyclinique en 2009, pour revenir ensuite à la clinique Saint-Vincent. Les EIG suspects le suivent d’un établissement à l’autre, puis cessent une fois son interdiction d’exercer prononcée début 2017. « Lors d’une conversation téléphonique entre Frédéric Péchier et sa mère, celle-ci expliquait combien elle espérait que survienne un nouvel arrêt cardiaque lors d’une anesthésie, ce qui aurait démontré son innocence. Frédéric Péchier lui répondait que ça n’arriverait pas, justifiant sa réponse par le fait que règles de sécurité de la clinique avaient été renforcées. »
Les enquêteurs ont par ailleurs établi une liste de 1 514 personnes « susceptibles d’avoir accès aux salles d’opération » des deux cliniques. Seul le Dr Péchier coche toutes les cases. « Très matinal, il était l’anesthésiste qui arrivait le premier dans l’établissement », note le procureur. Ce qui lui permettait de manipuler les produits et les poches à sa guise ? C’est la théorie de l’accusation.
Un mobile de vengeance
Si le Dr Péchier se plaisait à réanimer des patients qu’il aurait lui-même mis en danger afin d’asseoir son « leadership », les enquêteurs pensent qu’il provoquait surtout ces accidents cardiaques pour nuire à certains de ses confrères, personnellement visés à la suite de conflits vifs ou latents.
« Qu’on soit clair, cela n’a rien à voir avec des euthanasies. Ce qui est reproché à Frédéric Péchier, c’est d’avoir empoisonné des patients le plus souvent en bonne santé pour atteindre les collègues avec lesquels il avait des différends », martèle Étienne Manteaux. Selon le magistrat, le timing entre les empoisonnements et ces conflits personnels coïncident. Certains autres anesthésistes, que Frédéric Péchier voulait voir partir en retraite ou avec qui il rechignait de s’associer, notamment, ont été particulièrement touchées par des EIG inexpliqués.
Les antidotes précoces du « sauveur »
Les arrêts cardiaques auraient été provoqués, selon les cas, par différentes molécules : potassium, anesthésiques locaux variés, adrénaline, etc. Dans de nombreux EIG, « Frédéric Péchier était le primo-intervenant pour seconder l’anesthésiste » concerné par le problème.
« Ses confrères ont confié qu’il avait toujours la solution, qu’il se prenait pour le meilleur, qu’il s’était créé un personnage de sauveur, qu’il était devenu incontournable. Il a contribué à sauver des patients en préconisant le bon antidote. Quand Frédéric Péchier n’est pas intervenu ou est intervenu de façon moins directive, ce sont généralement les situations où les patients sont décédés. Dans ces cas-là, les conflits avec ses collègues impliqués étaient plus marqués », développe le procureur.
« L’EIG alibi »
Selon le Etienne Manteaux, le Dr Péchier est le seul anesthésiste durablement présent à Saint-Vincent durant ces neuf années à avoir été épargné par ces étranges EIG … À l’exception du cas Gandon, le dernier retenu par la procédure judiciaire, survenu le 20 janvier 2017. Selon l’accusation, l’anesthésiste aurait paniqué et volontairement provoqué l’arrêt cardiaque de ce septuagénaire, opéré pour une tumeur à la prostate. La police judiciaire venait d’ouvrir son enquête suite à un précédent cas hautement suspect, survenu neuf jours plus tôt. « Frédéric Péchier en était informé et ses confrères ont évoqué le fait qu’il était tendu, inquiet, déstabilisé », situe le procureur.
Contrairement aux précédentes situations, la police est intervenue en flagrance… Et dispose d’une « arme du crime » : une seringue. L’objet a été retrouvé dans une poubelle vidée la veille, avec des traces de mépivacaïne. Ce produit suspect, car non utilisé lors du protocole d’anesthésie, a également été retrouvé dans la poche de perfusion polluée. « Ce 20 janvier, Frédéric Péchier intervenait seul avec une infirmière anesthésiste, ce qui limite drastiquement la liste des suspects. La réactivité des policiers s’avère déterminante dans la manifestation de la vérité », commente Étienne Manteaux.
La position changeante du mis en cause
« Frédéric Péchier considère aujourd’hui qu’un seul empoisonnement est constitué, celui de son patient du 20 janvier 2017. Il a désigné celui qu’il pensait être l’auteur de cet empoisonnement : un de ses collègues de la clinique Saint-Vincent, avec lequel il était en conflit pour motifs personnels. » Cet autre anesthésiste chevronné, lui, avait déjà subi cinq EIG suspects par le passé.
Le procureur s’étonne du manque de stabilité des versions affichées ar le Dr Péchier. « Pour les 29 autres empoisonnements présumés retenus, Frédéric Péchier affirme désormais qu’il ne s’agit que d’erreurs médicales. Cela n’a pas toujours été sa position, puisqu’il a précédemment évoqué, en garde à vue ou lors de conversations téléphoniques, que certains faits ne pouvaient être que le produit d’actes de malveillance. »
Une personnalité qui pose question
Les perquisitions menées au domicile, au bureau et dans la voiture du Dr Péchier « ont démontré qu’il prélevait en toute illégalité à la clinique des produits anesthésiques, des produits morphiniques et des poches d’hydratation. Frédéric Péchier affirme qu’il voulait soigner sa fille ». Le procureur aborde une tentative de suicide datée de 2014. « Au regard d’une personnalité lisse et sans histoire décrite aux experts, les investigations ont mis en évidence une réalité plus contrastée. »
Frédéric Péchier avait choisi en 2015 de consulter un psychologue, dont les notes ont été saisies par la justice. « Il a expliqué à ce thérapeute qu’il s’ennuyait dans son travail et plus généralement, qu’il s’ennuyait dans sa vie. Ce psychologue estimait à l’époque que Frédéric Péchier n’était pas en état psychologique de travailler. Il était aussi décrit par certains comme ’’un magouilleur de première’’. » Etienne Manteaux cite l’exemple d’une fraude à l’assurance. Dans le cadre d’un projet d’acquisition immobilière, le médecin avait demandé à une infirmière de faire une prise de sang à son nom. « Interrogé, il a minimisé la portée de cet acte en précisant qu’il ne l’avait fait qu’une fois. »
Les fantômes de Poitiers et du CHU Minjoz
Par le passé, la justice française n’a été concernée que par une affaire semblable, quoique de bien moins grande ampleur.
« Au CHU de Poitiers en 1984, un médecin avait été soupçonné d’avoir volontairement empoisonné un patient lors d’une anesthésie, ce qui avait conduit au décès d’une jeune femme. Mais à l’époque, les investigations n’avaient pas pu déterminer clairement s’il s’agissait d’un acte volontaire ou d’une erreur médicale », rappelle le procureur de Besançon.
L’affaire mettait en réalité aux prises deux anesthésistes, qui s’accusaient mutuellement du pire. Suivi par les médias de tout le pays, le procès avait accouché d’un acquittement.
Le lien avec le Dr Péchier ? Son père, anesthésiste, tavaillait dans le service hospitalier incriminé. L’accusation retient qu’adolescent déjà, le jeune Frédéric avait été baigné par l’idée qu’on pouvait intenter à la vie d’un patient afin de nuire à un collègue.
Marchant sur les traces de son père, Frédéric Péchier était interne au CHU de Besançon quand, au début des années 2000, avait éclaté l’affaire des euthanasies. « Lorsqu’il poursuivait sa formation, le mis en examen a assisté à des injections fréquentes en intraveineuse de potassium, associé à un sédatif puissant, pour accélérer le décès de patients en fin de vie », précise Etienne Manteaux.
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