« Il n’y a de limite d’indemnisation du préjudice que l’imputabilité du dommage », Maître Sophie Périer-Chapeau
Lors d’une interview dans le cadre de l’émission Regards de Dirigeants, Sophie Périer-Chapeau, avocate et fondatrice du cabinet Legistia Périer Chapeau Avocats, aborde le droit du dommage corporel. Ce domaine, situé à l’intersection du droit et de la science, aborde de nombreuses problématiques et suscite de multiples interrogations.
Tout d’abord Maître, pouvez-vous nous présenter votre cabinet, Legistia Périer Chapeau ?
Sophie Périer-Chapeau : Notre cabinet est exclusivement dédié à l’indemnisation des victimes de dommages corporels suite à des accidents de la route, des accidents médicaux, des accidents de la vie, d’infractions et nos adversaires sont les compagnies d’assurance et fonds de solidarité (Fonds de Garantie, ONIAM, etc.). Nous avons à cœur d’apporter une expertise à chacun de nos dossiers. Nous travaillons nos dossiers en équipe, avec des collaborateurs d’autres spécialités et surtout avec nos clients dont nous prenons le temps de comprendre l’individualité de chaque parcours personnel et professionnel, des besoins, aspirations…Il n’y a de limite d’indemnisation du préjudice que l’imputabilité du dommage.
Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser dans ce domaine en particulier, celui du droit du dommage corporel ?
Sophie Périer-Chapeau : On choisit souvent cette profession avec un idéalisme de justice : défendre David contre Goliath. J’ai choisi cette spécialité dès le début de ma carrière car j’ai toujours été admiratrice de la profession médicale : le médecin soigne et guérit comme l’avocat défend le petit – les victimes – contre le grand – les compagnies d’assurance. Cette spécialité me permet d’explorer nombre d’autres domaines que le droit, puisque la réparation du préjudice corporel nécessite une connaissance du corps humain, des techniques médicales, des aménagements de domicile ou de véhicule, des aides techniques (fauteuil roulant, prothèses, et ainsi de suite). Mais aussi, au cours de mes études de droit, j’ai été confrontée aux souffrances d’un proche malade et dont la prise en charge a malheureusement causé un handicap nouveau. Toutes les années vécues après cet accident n’ont plus jamais permis de reprendre la vie d’avant.
Qui vient-vous solliciter, et quels sont les domaines dans lesquels ils ont besoin de conseils ?
Sophie Périer-Chapeau : Nous sommes sollicités par des victimes d’accidents. Elles souhaitent être informées sur leurs droits, la procédure, les conditions indemnitaires qui, heureusement pour elles, sont des domaines inconnus jusqu’à leur accident. En face, elles ont des adversaires aguerris, disposant d’un panel de spécialistes : juristes, médecins, experts-comptables, architectes, détective privé, accidentologues, etc. Il y a donc une inégalité des forces évidente. Elles nous contactent soit en ayant conscience dès leur accident, ce qui leur permet d’être défendues dès le début de leur dossier et est souvent gage d’une meilleure indemnisation. Ou elles nous contactent après avoir été déçues du traitement de leur dossier par la compagnie d’assurance et avoir compris que dès lors que l’adversaire est le payeur de leur indemnisation il y a un conflit d’intérêt évident.
À cet égard, une étape cruciale dans l’élaboration de ces dossiers est l’évaluation exhaustive des dommages subis par la victime. Comment procédez-vous pour réaliser cette évaluation ?
Sophie Périer-Chapeau : L’évaluation intégrale nécessite plusieurs compétences puisqu’on indemnise la vie personnelle, professionnelle, et corporelle. Nous sommes donc accompagnés dans nos dossiers par des spécialistes formés aux expertises qui ont à cœur de défendre les intérêts des victimes : des médecins, des ergothérapeutes, des architectes, ou encore des accidentologues. Nous opposons ainsi une égale expertise que celle des assurances et nous intégrons l’humain au dossier puisque chacun de nos partenaires prépare en amont chaque dossier en rencontrant chaque client et en s’attachant à comprendre les enjeux individuels de chacun.
Un autre élément important dans l’indemnisation des victimes est la reconnaissance du statut de la tierce personne. Quels sont les enjeux associés à cette étape ?
Sophie Périer-Chapeau : Lorsque la médecine et les aides techniques ne suffisent pas, l’humain devient indispensable pour compenser la perte d’autonomie. L’indemnisation pour une tierce personne est cruciale pour redonner à la victime son autonomie pré-accident et respecter la réparation intégrale. L’évaluation précise de ce besoin nécessite de connaître le mode de vie de la victime, son domicile, ses habitudes, et sa situation familiale. Mon cabinet prépare chaque dossier avec minutie, en tenant compte des besoins quotidiens et exceptionnels. Depuis la création de mon cabinet, nous préparons tous nos dossiers d’expertise en exposant les besoins selon les handicaps mais également des journées types et besoins exceptionnels. On a souvent été déçu que ce travail effectué avec minutie en amont ne soit pas discuté davantage pour y attribuer un temps d’aide humaine pour chaque tâche devenue impossible ou difficile. C’est pourquoi nous demandons souvent une expertise ergothérapeutique, car l’ergothérapeute est le plus qualifié pour évaluer les conditions de retour à domicile. Ce poste étant très souvent celui qui correspond au coût financier le plus important, il est âprement discuté tant en expertise qu’ensuite dans la liquidation indemnitaire. Après avoir discuté le besoin (temps d’aide par jour/semaine/mois), on discute le taux horaire et le versement sous forme de rente ou de capital. Là encore il y a un enjeu conséquent : indemniser le taux horaire en deçà du coût réel de l’emploi ne permet pas de réparer le besoin et place la victime face à l’impossibilité de prendre soin de soi, ou encore d’avoir une vie sociale, d’agréments. Indemniser le besoin en tierce personne sous forme de rente prive la victime de la libre disposition des fonds qui lui ont été accordés et la place dans l’impossibilité future de payer sa tierce personne puisque le taux de revalorisation annuelle de la rente est inférieur à l’évolution du coût de la vie.
Faire valoir ses droits auprès des compagnies d’assurance peut s’avérer particulièrement ardu. Nous sommes souvent confrontés à leurs allégations sur le risque de non-couverture des condamnations indemnitaires en raison de leur prétendue évolution inflationniste, ou encore à la multiplication des risques et de leur montant, qu’il leur incombe de couvrir.
Quel rôle jouez-vous dans l’intermédiation avec les compagnies d’assurance ? Que constatez-vous quant à leurs pratiques et modes de fonctionnement à cet égard ?
Sophie Périer-Chapeau : Avant d’engager toute procédure, nous sollicitons l’assurance pour un rapprochement amiable. C’est dans l’intérêt de nos clients de parvenir à un règlement amiable rapide de leur dossier, et c’est ce qui était voulu par la loi Badinter de 1985. Nous prenons donc cette étape au sérieux. Si nous arrivons devant le Juge, c’est que la proposition indemnitaire de l’assurance est insatisfaisante et en deçà de ce que le juge alloue. Il ne s’agit pas d’ergoter sur 1 000 euros, mais de faire valoir un vrai préjudice non réparé comme il le devrait. L’assurance ne peut tout à la fois arguer un risque de non-couverture et ne pas repenser sa politique de négociation amiable. Quand une transaction échoue parce que « par principe » la direction de la compagnie d’assurance a décidé de ne pas indemniser les frais d’ostéopathie de 45 euros par exemple, dans un dossier où l’enjeu est de plusieurs millions… On est face à l’absurde. Une vision plus globale du dossier doit être privilégiée avec le retour à de vraies concessions réciproques dans la négociation. Cela était le cas il y a 10 ans et l’est désormais de plus en plus rarement. L’assurance doit aussi assumer les conséquences de ses propres erreurs de gestion.
Mes clients ont obtenu des sommes très importantes (3 000 000 euros / 2 000 000 euros …) au titre de pénalités d’offre tardive ou de pénalités pour offre insuffisante. Il faut donc modérer le discours ancien et récurrent des assurances selon lequel elles ne pourraient plus indemniser aucune victime face à l’indemnisation inflationniste de leurs préjudices. Ajoutons d’ailleurs que de manière totalement contradictoire les assurances plaident pour un versement sous forme de rente des indemnisations aux motifs qu’elles sont totalement solvables. On voit donc bien que ce discours est agité pour faire « peur » mais n’est pas cohérent et qu’il appartient non aux victimes d’être moins ou mal indemnisées mais aux assurances de faire des réels efforts de gestion correspondant aux cotisations de couverture que nous payons : nos contrats d’assurance auto nous obligent à souscrire une assurance responsabilité civile pour indemniser l’entier préjudice causé par un accident de la route.
En mai, la Belgique a adopté une nouvelle loi permettant aux victimes d’actes terroristes d’être indemnisées via un contrat d’assurance. En France, cette indemnisation est assurée par un fonds solidaire. Cela soulève la question suivante : l’État ne se décharge-t-il pas de ses responsabilités par ce biais ? Ne devrait-on pas alléger le poids de la solidarité nationale ?
Sophie Périer-Chapeau : La Belgique a choisi de partager l’indemnisation des victimes d’attentats entre les assurances et le fonds de garantie. Ce modèle n’existe pas en France et seuls les pouvoirs politiques peuvent décider d’aller également en ce sens. Cela peut être à réfléchir pour les comptes déficitaires de la sécurité sociale, puisque lorsque la solidarité nationale intervient, les sécurités sociales ne sont pas indemnisées des frais imputables à l’accident alors qu’elles le sont lorsque l’indemnisation est à la charge d’une assurance. Dans mon exercice, ce que j’observe c’est qu’une victime d’attentat sera moins bien indemnisée qu’une victime d’accident de la route. Tout comme une victime d’aléa thérapeutique sera moins bien indemnisée qu’une victime d’accident médical fautif. Dans ces deux cas, elles sont indemnisées par la solidarité nationale et les textes législatifs prévoient que le Fonds de Garantie et l’ONIAM peuvent demander la déduction de toutes prestations versées en compensation du handicap (la prestation compensatoire du handicap par exemple). Alors que les victimes indemnisées par une assurance recevront une indemnisation sans déduction de cette prestation. Les montants seront par exemple : la tierce personne est indemnisée de 450 000 euros. La victime a perçu une PCH de 100 000 euros. La victime d’un attentat ou d’un accident médical non fautif, va recevoir 350 000 euros. La victime d’accident de la route ou d’accident médical fautif, va être indemnisée à hauteur de 450 000 euros.
Autre cas de figure, les indemnisations des victimes d’accidents médicaux, qui varient selon que l’accident se soit produit dans le secteur public ou privé. Trouvez-vous cela cohérent ? Ne serait-il pas préférable que toutes les victimes soient indemnisées de la même manière, qu’elles soient victimes d’un accident de la route, d’un attentat, ou d’une erreur médicale, peu importe que ce soit dans le public ou le privé ?
Sophie Périer-Chapeau : Le juge administratif juge les contentieux contre les établissements publics et le juge civil ceux des établissements privés. Deux difficultés se posent alors pour l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux. Premièrement, on a un réel écart de montant indemnitaire entre les juridictions administratives et civiles. Il est à mon sens injuste d’être moins bien indemnisé du fait qu’on est doublement victime d’une part d’un accident médical et d’autre part d’avoir confié ses soins à un établissement public de santé. Deuxièmement, on a une complication de la procédure car il n’est pas rare que le dommage soit imputable à plusieurs causes : des actes de soins dans un établissement privé, dans un établissement public, ou un aléa thérapeutique. On a créé un juge spécial pour l’indemnisation des victimes d’attentat : le JIVAT. Pourquoi ne pas créer un juge spécial de l’indemnisation des accidents médicaux pour que toutes les victimes soient indemnisées selon les mêmes principes, règles et montants indemnitaires quelle que soit la qualité de l’auteur de son dommage ?
En quoi l’IA peut vous aider dans l’exercice de votre fonction ? Est-ce qu’elle pourrait par exemple aider à la préparation des dossiers d’indemnisation des victimes ?
Sophie Périer-Chapeau : L’IA va être un vrai outil pour préparer et construire plus rapidement nos dossiers. À ce jour, je pense cependant qu’elle ne remplace pas l’œil et l’analyse individualisés du dossier par l’avocat tout comme l’IA aide le médecin à construire son diagnostic mais non à le poser car plusieurs paramètres individuels doivent être pris en compte. Les avocats de victimes se battent depuis de longues années contre la barémisation des préjudices car elle est contraire à la réparation intégrale en ce qu’elle prévoit des sommes forfaitaires sans prendre en compte l’individualité de la victime. Il ne faut donc pas que l’IA tende à la barémisation cela serait en défaveur des victimes.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’indemnisation des victimes ? Est-ce qu’il y a un message que vous voudriez faire passer ?
Sophie Périer-Chapeau : Il faut accélérer les procédures amiables et contentieuses des préjudices pour éviter l’aggravation des préjudices et ne cesser de spécialiser les modes d’indemnisation.
L’équipe mutualite55.fr vous offre ce texte qui parle de « Défense des patients ». mutualite55.fr est blog numérique qui présente diverses informations publiées sur le net dont le sujet central est « Défense des patients ». Ce post est reconstitué du mieux possible. S’il arrivait que vous projetez de mettre à disposition des informations complémentaires à cet article sur le sujet « Défense des patients » vous pouvez écrire aux coordonnées fournies sur notre site. Consultez notre site internet mutualite55.fr et nos réseaux sociaux dans le but d’être renseigné des futures communications.