Ces derniers jours, la famille de Jacques*, un agriculteur de 63 ans vraisemblablement atteint de leptospirose, dit avoir vécu un épisode compliqué. Il a été renvoyé chez lui après avoir été examiné aux urgences, et malgré un état de santé que ses proches décrivaient comme préoccupant. Avant d’être finalement hospitalisé quelques heures plus tard.
• Publié le 7 mars 2024 à 13h15, mis à jour le 8 mars 2024 à 15h16
La leptospirose continue de sévir à La Réunion, à un niveau particulièrement élevé. Selon les derniers chiffres de Santé Publique France, au 28 février 2024, 70 cas ont été confirmés à La Réunion et déclarés à l’ARS depuis le début de l’année.
C’est « trois fois plus de cas déclarés que les années précédentes à la même période » s’alarme Santé Publique France dans son bulletin épidémiologique hebdomadaire le 1er mars. A titre de comparaison, 23 cas avaient été enregistrés en 2023, et 20 cas en 2022.
L’âge moyen des personnes contaminées s’établit à 56 ans, en majorité des hommes (94%). Tous les secteurs de l’île sont concernés par cette maladie infectieuse véhiculée « principalement par le rongeur, mais aussi possiblement les animaux domestiques comme le chien, le chat, les animaux d’élevage comme les bovins et les porcins« , rappelle le Dr Benjamin Dusang, président du conseil de l’Ordre des médecins de La Réunion.
« On se contamine en se baignant ou en étant contact pieds nus dans des zones contaminées par les excréments et les urines des animaux »
Dr Benjamin Dusang, président du conseil de l’Ordre des médecins de La Réunion
Nénamoins, la forte majorité, soit 80% des cas, concernent des résidents du Sud et de l’Ouest de La Réunion.
C’est justement dans le Sud de l’île qu’un homme de 63 ans a ressenti il y a quelques jours des symptômes de la leptospirose. Actuellement hospitalisé, l’homme, et ses proches, ont connu de grosses frayeurs en début de semaine, comme souhaite le raconter sa fille Aurore* ce jeudi, de façon anonyme, par « crainte de représailles lors de la suite de l’hospitalisation« .
Regarder le reportage de Réunion La 1ère :
Une famille du Sud déplore la prise en charge aux urgences de leur proche, malade de la leptospirose. Explications.
Tout commence vendredi dernier, lorsque son père, un agriculteur que nous nommerons ici Jacques, commence à ressentir une « très grosse fatigue », et constate une instabilité de son diabète. « On a pensé à une grippe« , explique la fille.
Mais le lendemain, samedi, « il n’était pas dans son état normal, il était très fatigué, avait des sueurs nocturnes« , raconte Aurore. La famille préfère toutefois attendre avant de se rendre chez le médecin. Le dimanche, devant une absence d’amélioration de l’état du sexagénaire, pris de courbatures et de maux de tête, il est emmené chez SOS Médecins.
Le docteur qui les reçoit soupçonne une leptospirose ou un Covid, se rappelle Aurore. Mais un test permet d’éliminer cette dernière hypothèse. Pour confirmer ou infirmer un cas de leptospirose, une prise de sang est prescrite à Jacques*.
Cette probabilité est d’ailleurs évoquée par l’agriculteur lui-même, qui se sait à risques : après le cyclone, il a procédé à la réparation de tuyaux sur son exploitation, en contact avec des milieux humides, propices à la contamination par des leptospires.
C’est quelques heures après la prise de sang lundi matin que la famille est alertée d’une infection chez Jacques, après analyse du sang. Le médecin détecte « une forte possibilité de leptospirose« , et renvoie Jacques vers les urgences de l’hôpital.
C’est sur ce qui se passe ensuite qu’Aurore souhaite aujourd’hui attirer l’attention. « Aux urgences, la prise en charge a été super longue. On est arrivés à 16h45, mon père a vu un médecin à 21h« , se remémore l’habitante du Sud.
« A ce moment-là, ils lui ont donné un simple médicament pour les douleurs, mais personne ne s’est occupé de lui, il était sur un fauteuil et ne se sentait vraiment pas bien, il avait très très froid ».
Aurore, fille d’un patient atteint de leptospirose
A la grande surprise de la famille, Jacques n’est pas hospitalisé : les urgences le font rentrer chez lui, à minuit, « avec une ordonnance pour un simple antibiotique et du Doliprane » selon Aurore.
« On était un peu choqués, parce qu’il n’était pas rétabli et son diabète instable, il était dénutri parce qu’il n’avait toujours pas mangé depuis vendredi »
Aurore, fille d’un patient atteint de leptospirose
Leur père étant diabétique, et dans un état qui leur semble grave, ses enfants pensaient qu’il allait être admis sur place, sous surveillance a minima.
A cette heure avancée, ils ne parviennent pas à trouver une pharmacie de garde ouverte, et peinent à trouver l’antibiotique prescrit. C’est un membre de la famille qui finit par trouver le médicament chez lui et le leur donner.
La nuit chez la famille de l’agriculteur n’est en aucun cas sereine. « Il s’est endormi à 1h, et à 4h, mon père était abasourdi, avait des tremblements incontrôlables et des vomissements. On lui a fait prendre une douche » raconte Aurore.
Décision est prise de le ramener aux urgences, où il était pourtant quelques heures plus tôt. « A ce moment-là ce n’était plus possible de le descendre en voiture, on a dû appeler les pompiers« , souffle sa fille.
« On était stressés et on a vu la vie de notre papa défiler devant nous »
Aurore, fille d’un patient atteint de leptospirose
Jacques est pris en charge à 7 heures, une heure après son arrivée aux urgences, aux dires de sa fille. « On l’a mis sous perfusion, avec de l’amoxicilline, un antibiotique« , dit Aurore, qui estime aujourd’hui que son père est passé près de la mort cette nuit-là.
« On a dû attendre très longtemps avant d’avoir des nouvelles de lui. Depuis lundi soir, il a pu avoir une chambre mais l’attente a été très très longue. Il est hyper fatigué ».
Aurore*, fille d’un patient atteint de leptospirose
Difficile de dire quand l’état de Jacques s’améliorera au point d’envisager une sortie de l’hôpital, explique sa fille. « Hier (mercredi, ndlr) soir il n’allait toujours pas bien, ils vont faire d’autres analyses pour voir si des organes n’ont pas été touchés« , précise-t-elle.
La famille fait aujourd’hui part de son désarroi devant la prise en charge tardive dont l’agriculteur a bénéficié. Et ce alors qu’ils étaient venus munis du courrier rédigé par le médecin vu précédemment, et faisant part d’une forte probabilité de leptospirose. « Il y avait quand même des analyses déjà réalisées, des choses graves mises sur papier, avant de descendre aux urgences« , considère Aurore, dans l’incompréhension.
« On l’a ramené chez lui mais on a pris beaucoup de risques, on aurait pu perdre notre papa »
Aurore, fille d’un patient atteint de leptospirose
La famille est en tout cas persuadée que leur proche ne serait pas dans cet état aujourd’hui s’il avait été pris en charge avant l’aggravation des symptômes. Et souhaite témoigner pour que d’autres malades ne soient pas confrontés à cette situation, dit-elle.
Aujourd’hui, en colère, la famille de Jacques se réserve le droit de prendre un avocat pour emmener la situation qu’ils ont vécue devant la justice.
Contacté, le CHU n’a pas souhaité réagir à ce témoignage. Le centre hospitalier explique qu’il ne commente pas les les dossiers médicaux des patients, mais que lui ou sa famille peuvent introduire une réclamation qui sera instruite dans le respect du secret médical.
Valérie Fernez, représentante des usagers du CHU, interrogée sur Réunion La 1ère ce vendredi, « ne comprend pas ce qu’il s’est passé dans cette situation », mais ne peut commenter davantage sans avoir pris connaissance du dossier.
Pour rappel, un service de relation et de représentation des usagers existe au CHU, et travaille avec les équipes de l’hôpital pour améliorer la prise en charge. Il est joignable au 0692 39 40 60. « On peut joindre les représentants des usagers qui sont quatre par établissements et sont tous joignables« , invite Valérie Fernez.
Les précisions de Valérie Fernez, représentante des usagers du CHU, sur Réunion La 1ère :
Interview de Valérie Fernez, représentante des usagers du CHU
Selon les recommandations des autorités sanitaires, il est primordial de consulter un médecin dès l’apparition des premiers symptômes, et ainsi favoriser un diagnostic et une prise en charge rapide pour éviter les séquelles graves de la leptospirose. Une maladie dans certains cas mortelle.
Ces symptômes, bien que d’une grande variabilité, peuvent être « une fièvre très élevée, des maux de tête intenses, des douleurs musculaires aux membres inférieurs principalement », selon le Dr Benjamin Dusang, président du conseil de l’Ordre des médecins de La Réunion.
Pour le Dr Benjamin Dusang, président du conseil de l’Ordre des médecins de La Réunion, difficile de juger si cette prise en charge a été correcte ou non. « J’imagine que la famille se donnera les moyens d’avoir des explications sur cette prise en charge qui de son point de vue a été un dysfonctionnement« , commente-t-il.
Dans tous les cas, il est impossible aujourd’hui de parler d’une erreur médicale sans que soit achevé un processus long d’analyse du dossier.
Les précisions du Dr Dusang, président du conseil de l’Ordre des médecins sur Réunion La 1ère :
Interview du Docteur Benjamin Dusang, président du Conseil de l’Ordre des Médecins de La Réunion
Le professionnel de santé rappelle en outre la difficulté du diagnostic de la leptospirose : « Il est confirmé par la prise de sang, qui finit par confirmer avec une infinie certitude le diagnostic de leptospirose, mais les formes sont très variées ».
A noter que sur les 70 cas enregistrés depuis le début de l’année, 18 patients ont nécessité un passage en soins critiques.
Un décès a été constaté, d’un patient chez qui la leptospirose avait été diagnostiquée. Il est toutefois impossible de confirmer que son décès est lié à cette pathologie, souligne Santé Publique France. Chaque année, 1 à 3 décès liés à leptospirose sont à déplorer à La Réunion.
* les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat
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