Un calvaire familial : la quête de vérité après le décès inexpliqué de Jeanine Phanis au Chog

Cela fait quatre mois que Jeanine Phanis, 22 ans, a perdu la vie dans des conditions extrêmement troubles au Centre hospitalier de l’Ouest guyanais (Chog). La famille n’a toujours pas d’explications sur les causes de ce décès que rien ne laissait supposer. Avec leur avocat et l’Association des usagers du Chog, ils demandent des réponses et soupçonnent une erreur médicale grave. Une enquête a été ouverte.

C’est une bien triste affaire qui remonte à la surface. Elle illustre ce qui pourrait être une erreur médicale gravissime commise au Centre hospitalier de l’Ouest-guyanais (Chog). 

Nous sommes le 24 juin 2024, à Saint-Laurent du Maroni. Jeanine Phanis, 22 ans, en 3e année de licence, a récemment eu une contrariété sentimentale. La jeune femme ne dort plus beaucoup et ne se nourrit quasiment plus. Ses parents, inquiets, l’amènent voir leur médecin traitant. Celui-ci ne décèle rien de grave, mais recommande tout de même un séjour à l’hôpital.

Jeanine est amenée aux urgences. L’état physique de la Saint-Laurentaise est vérifié. Toujours aucun signe particulièrement alarmant n’est relevé par les médecins qui multiplient les prélèvements. Diana Phanis, sa mère, reste à son chevet. Faute de place dans d’autres services, Jeanine reste six jours aux urgences. Le 2 juillet, un transfert dans le service psychiatrique est finalement décidé. « On est immédiatement mal reçu, la communication est lamentable« , se rappelle le père, Jean Phanis. Il s’exprime ici dans le cadre d’une conférence de presse organisée ce 30 octobre pour mettre en lumière cette affaire. 

« Je vous ai amené mon enfant vivant, comment est-ce que je le retrouve mort ? « 

Les parents ne sont plus autorisés à rester auprès de leur fille. « Ma fille m’a dit ce soir-là, ‘Papa, je ne veux pas rester ici’… c’est la dernière image que j’ai d’elle« , raconte Jean Phanis. Le 3 juillet, pendant la journée, les parents n’ont aucune nouvelle. C’est finalement le soir, vers 19 h, après un second appel à l’hôpital, qu’une personne déclare à la mère : « Votre fille a fait un malaise. Elle est en train de mourir. Elle ne va pas s’en remettre« , selon les propos que l’on nous rapporte. Cela faisait à peine 24 heures qu’elle était entrée au service psychiatrie. L’incompréhension et le choc. 

Le père débarque en premier au Chog. Alors que sa fille se trouve encore sur un lit de réanimation, l’homme est accueilli par ces mots glaçants : « Si vous voulez savoir ce qu’il s’est passé, il faut aller au service psychiatrie. Ce n’est pas moi qui ai tué votre enfant. » Ce même médecin aurait déclaré la même chose à la mère quelques instants plus tard. « Là, je suis complètement perdu… À ce moment, on se croit dans un film d’horreur« , se remémore Jean Phanis. « Pourquoi vous avez tué mon enfant ?« , demande la mère. Les parents attendent ce soir-là jusqu’à minuit pour avoir des nouvelles et apprennent alors que leur fille se dirige vers une chambre froide. Jeanine Phanis ne s’est pas réveillée. Le lendemain, les parents se rendent finalement au service psychiatrie. Diana Phanis a de quoi s’interroger : « Je vous ai amené mon enfant vivant, comment est-ce que je le retrouve mort. » On lui répond par l’incompréhension. On lui explique qu’elle s’est urinée dessus et qu’elle est tombée.  Aucune précision sur l’endroit ou le moment n’est donnée. Comment comprendre un décès par un supposé malaise cardiaque, sur une jeune femme qui n’avait aucun antécédent de la sorte ? Quatre mois plus tard, les parents n’en savent toujours pas plus. 

« Un calvaire inadmissible« 

Effectivement, c’est ici que commence le « calvaire inadmissible que les parents ont subi« , intervient l’avocat de la famille, Jean-Yves Marcault-Derouard. Dès le 16 juillet, les parents demandent une copie du dossier médical. Un document que l’avocat estime « très urgent à pouvoir consulter« , pour « aider la famille à faire son deuil » et pour « essayer de connaitre les conditions dans lesquelles le décès est arrivé« . Ce document ne vient pas malgré plusieurs relances, dont une appuyée le 26 juillet par un courrier envoyé par Me Marcault-Derouard à la direction du Chog. Un document que nous avons pu consulter. Sans ce dossier, il est impossible pour les parents de connaître les soins apportés à la victime dans le service. 

Face à l’absence de réponse, une plainte est déposée le 6 août à l’encontre du centre hospitalier. C’est à peu près au même moment que l’Association des usagers du Chog (Aduchog) se saisit également du dossier. Le 6 septembre, les parents et l’association sont enfin reçus par un membre de la direction. Celui-ci admet qu’ « il y a eu des défaillances sur la communication avec la famille. » Des condoléances sont exprimées. Rien de plus n’est dit sur les circonstances de la mort. Seulement, que le dossier médical « est en cours de constitution. » Il arrive enfin le 9 septembre. Celui-ci « n’apporte absolument aucune information« , déplorent Laurent Priou, président de l’Aduchog, et l’avocat. « C’est un dossier médical manifestement transfiguré« , juge même ce dernier. Dans sa transmission, le Chog indique également que le décès est toujours inexpliqué et reconnait qu’il existe « des zones d’ombre en ce qui concerne les conditions de son décès. » 

On apprend par ailleurs, selon le certificat de décès que nous avons pu consulter, qu’aucune demande d’autopsie ou de recherche de cause du décès n’a été réalisée par le médecin. Une décision prise sans en informer les parents. 

La possibilité d’une erreur médicale grave

Rien ne laissait supposer un tel décès. L’avocat de la famille mentionne la possibilité d’une « erreur médicale grave » dans un courrier au procureur. Une théorie appuyée par un témoignage apporté par le conseil au dossier. Dans celui-ci, une personne présente dans les couloirs du service psychiatrique, ce jour-là, témoigne de la panique du personnel hospitalier peu de temps avant le décès. L’hypothèse de l’intoxication médicamenteuse est évoquée par l’Aduchog, association qui comporte des professionnels de la santé. Cette intoxication serait l’une des possibilités les plus probables « pour une personne qui décède d’un malaise cardiaque, alors qu’elle n’avait aucun antécédent cardiaque« . Pour autant, rien ne permet encore d’assurer avec certitude que Jeanine Phanis est bien décédée d’un malaise cardiaque.

Le 22 octobre, finalement, le parquet a confirmé à Me Marcault-Derouard qu’une enquête avait été ouverte à la suite de la plainte déposée. Celle-ci devrait déterminer s’il y a eu, ou non, un homicide involontaire.

Une affaire révélatrice, inscrit dans un contexte plus large

Contacté, le directeur par intérim de l’Agence régionale de santé ARS), Romain Brochard, a indiqué : « Conformément à l’évaluation de l’équipe médicale, cet incident n’a pas fait l’objet d’un signalement en tant qu’événement indésirable grave auprès de l’Agence régionale de santé de Guyane. Les équipes ont estimé que les conditions du décès ne répondaient pas aux critères d’un tel signalement. Cependant, en raison de l’importance que j’accorde à la qualité des soins, j’ai demandé à Madame Ninon Gautier (la directrice de l’établissement, NDLR) de me transmettre tous les éléments précis et exhaustifs concernant la prise en charge de Madame Phanis. La sécurité des soins et la communication claire avec les patients et leurs familles figurent parmi nos priorités majeures. » La directrice du Chog, en lien avec la direction de l’ARS s’est associée à cette réponse. 

Laurent Priou, de l’Auduchog, signale par ailleurs que cette affaire s’inscrit dans un contexte plus large. « Plusieurs cas de dysfonctionnement sont en train d’être soulevés. Cette affaire est révélatrice. » L’association a prévenu qu’une conférence de presse serait menée, mais n’a pas reçu plus de précisions sur les conditions de la mort de Jeanine avant qu’elle se tienne. « On a été transparent, on attendait la même chose. » Une autre affaire médiatique a mis en avant des dysfonctionnements au sein du même établissement : celle de l’escroquerie présumée à plus de 4 millions d’euros par la société AZ DOM, dans laquelle la complicité de médecins urgentistes a été mise en lumière. L’association s’appuie également sur les derniers mauvais résultats du Chog dans ses Indicateurs Qualité et de Sécurité des Soins (IQSS), émis par la Haute autorité de santé (HAS). Le Chog reçoit par exemple une note de 2% dans l’anticipation de la prise en charge de la douleur.

Laurent Priou enjoint ainsi la nouvelle directrice à « prendre ses responsabilités. Le temps de l’impunité est fini » et dit aux usagers « ne vous laissez plus faire. »

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