Erreur médicale : un combat de 9 ans pour Marie Mistral après une opération qui a mal tourné

Elle rayonne, Marie. À croiser cette jeune maman, on a du mal à imaginer ce par quoi elle est passée. Cet hiver 2014, Marie est une jeune femme active. Sapeur-pompier volontaire, elle est gênée par une poitrine conséquente. Une opération qui peut être prise en charge par la Sécurité sociale mais pas pour Marie qui n’entre pas, de peu, dans les critères. « C’est un handicap au quotidien. Je décide d’aller voir un chirurgien qui avait bonne réputation, située sur la Corniche à Marseille et un autre avis à la Conception. » Son entrevue avec le Dr F. la satisfait: « Il m’a inspiré confiance. Du coup, j’ai annulé le second rendez-vous, à la Conception« . L’opération est programmée : ce sera le 25 février 2014.

« Je disais: « Je vais mourir »

« La chirurgie se passe bien« . Pendant près de trois heures, elle a été sous anesthésie; mais alors qu’il était prévu qu’elle passe la nuit sur place, « comme j’allais bien, le docteur m’a dit que je pouvais rentrer« . La jeune femme regagne donc Le Castellet, près d’Oraison, au terme de plus d’1h30 de route. « Je passe une nuit douloureuse. Le lendemain matin, j’ai un peu de température. J’appelle: le chirurgien me dit que c’est de la fièvre de résorption« . Le lendemain, la fièvre a augmenté. 38.3°c. « Le chirurgien dit que c’est normal« . Le surlendemain, la fièvre a encore augmenté, le chirurgien lui dit de venir. Le vendredi, « quand il ouvre les pansements, la peau pèle, la fièvre a encore augmenté. J’avais commencé ma formation, je savais que la température pouvait être un signe d’infection. Je lui en parle. Il me répond: ‘J’ai bac + 17, vous trois mois d’école d’infirmière, vous n’allez pas m’apprendre mon métier’ « . Il referme le pansement et la renvoie dans les Alpes-de-Haute-Provence. « Le samedi, elle est vraiment pas bien. Par téléphone, on me dit qu’elle a pris froid et on lui prescrit des antibiotiques« , glisse la maman de Marie. C’est le week-end : par téléphone, le chirurgien prescrit un traitement antibiotique. La nuit sera abominable. « Ça n’allait pas du tout. Je disais: « Je vais mourir« . J’avais mal, j’avais de la fièvre ».

Un transfert à la Conception

Six jours après l’opération après un nouvel appel au chirurgien, Marie est ramenée à Marseille, le lundi. « Il a ouvert les pansements. Il a mis un champ, je ne pouvais pas voir. Il a dit que j’avais des hématomes, qu’il allait opérer pour les évacuer« . « Dans son regard, j’ai vu qu’il était inquiet » souligne sa mère, à la sortie du bloc, ce 3 mars. « Il me dit : ‘J’ai évacué les hématomes mais je la garde’ « , indique sa mère. Pendant trois jours, Marie reste à Marseille dans ce qui se fait appeller « clinique ». Seule. Le mercredi, sa mère est convoquée par le chirurgien qui lui annonce ne plus être en mesure d’assurer le suivi postopératoire de Marie: « J’ai téléphoné à l’équipe du Dr Casanova, à la Conception ». C’est celui-là même que Marie avait initialement prévu de consulter, un professeur réputé de chirurgie plastique et réparatrice. Il faut qu’elle soit transférée.

« Le jeudi 6 mars, des infirmières viennent m’aider à me lever et m’habiller. J’étais un zombie. Il me dit ‘Je vous transfère la Conception' ». Une assistante du chirurgien la transporte dans son propre véhicule jusqu’à la Conception « alors que mon état justifiait un transport médicalisé. À la Conception, elle me laisse en plein milieu du service. On m’amène dans une chambre, je vais y rester plus d’un mois. Le Dr Casanova m’a dit ‘C’est très grave' ». Diagnostic : une nécrose bilatérale. Les deux seins ont été atteints, les cellules de la peau sont mortes. Elle apprendra par la suite que « le lundi, un seul sein était touché ». « Quand vous voyez vos seins noirs… » laisse en suspens Marie. « Tous les jours j’ai demandé à voir comment ça évoluait« .

Deux mois plus tard, une greffe de peau

Las analyses rendront leur verdict: Marie a été infectée par de l’Escherichia coli, Propionibacterium avidum et actinomycete ventalis. Des bactéries qui n’auraient jamais dû se trouver dans un bloc opératoire. « Pendant 48 heures je suis restée sous surveillance, je risquais de partir en réanimation« . Le nettoyage des plaies nécessitera plusieurs passages au bloc. Plusieurs protocoles de cicatrisation seront testés: pansements humides, secs… L’infection stabilisée, le 3 avril vient le temps de la greffe. On va lui prélever de la peau du cuir chevelu pour la poser sur les seins. « Je suis encore restée hospitalisée une semaine« .

La greffe est un succès. Marie rentre à la maison familiale le 14 avril. « J’avais encore des pansements, de la rééducation avec un kiné, des massages… Le chirurgien a mis de la peau où il n’y en avait plus. Après, il fallait réopérer pour avoir un galbe et de la symétrie« . La reconstruction aura lieu le 5 juillet 2016 – elle était initialement prévue en avril, mais Marie a eu une crise de panique la veille de la chirurgie. L’opération se passe bien. « J’ai encore passé l’été avec des pansements et des cicatrices, à l’abri du soleil« . Des opérations de tatouage du mamelon et de l’aréole suivront en 2017 – elle doit désormais les renouveler régulièrement. La vie intime… « Un peau greffée n’est plus aussi souple qu’une peau naturelle » glisse la jeune femme.

Parallèlement, une procédure judiciaire est lancée (Lire ci-dessous). À plusieurs reprises, Marie et les siens ont failli renoncer, abandonner. Le combat va durer neuf ans. « J’ai gagné en première instance puis en appel. Le pourvoi en cassation de la partie adverse a été rejeté« . C’était fin juin de cette année, quelques jours après la naissance du fils de Marie, que s’est joué le dernier acte de la procédure. Une nouvelle vie pouvait commencer.

« Reprendre ma vie »

Si Marie s’exprime aujourd’hui, c’est pour prévenir. « J’aurais dû aller voir un autre avis« , souligne Marie. « En tant que parents de jeunes ayant des soucis physiques, il faut savoir où on met les pieds – même si le risque zéro n’existe pas« , ajoute sa mère. Car le montant de l’indemnisation ne réparera jamais le traumatisme et ses conséquences. Marie a une incapacité à vie et un préjudice, il lui est impossible d’allaiter, pendant un an elle n’a pu suivre ses études d’infirmière et elle souffre d’un stress post-traumatique. Marie a été soutenue psychologiquement : »Maintenant, je peux en parler sans pleurer. C’est une étape de ma guérison« . Chaque opération réveille le traumatisme : vésicule biliaire, coloscopie, accouchement… « Le problème est de faire de nouveau confiance au milieu médical« . Mais Marie est résiliente : elle y travaille comme infirmière de bloc opératoire.

« J’ai repris mes études en septembre 2015, obtenu mon diplôme en juillet 2017, fait une spécialité d’infirmière de bloc en avril 2018, une spécialité à Marseille. Je voulais reprendre ma vie. À l’origine, mon projet n’était pas de devenir infirmière de bloc. À l’issue de mon diplôme, j’ai fait tous les services mais, en étant passée de l’autre côté, j’avais trop de compassion avec les patients… Le bloc opératoire, c’est technique, j’ai une relation courte mais intense avec le patient: il a froid, il a peur et il est nu… Je sais ce que c’est« . Elle a arrêté les sapeurs-pompiers volontaires : « Physiquement, je ne m’en sentais plus capable« . « À vie, j’aurai ces cicatrices; les cicatrices ne partiront jamais. Ça fait partie de mon histoire« . Elle souligne : « La faute peut arriver à tout le monde; mais il faut écouter les malades. On n’en fera jamais trop pour quelqu’un qui ne va pas bien. Ce qui m’a sauvée, c’est que j’étais en bonne santé, je faisais du sport… et mon caractère, l’équipe médicale et ma famille« . Et de conclure : « Ça n’arrive pas qu’aux autres, il faut être vigilant sur l’endroit où on se fait opérer, qu’il soit public ou privé, peu importe ».

Neuf années de procédure

Si la façade de l’établissement portait le nom de clinique, la structure dans laquelle Marie a été opérée était en réalité une Installation autonome de chirurgie esthétique (IACE). Soit « un service de santé dans lequel sont réalisés notamment des actes de soin » ; jusqu’au jugement, ce type d’établissement n’était pas identifié comme devant se soumettre, comme un établissement de santé, à une responsabilité de plein droit. Marie a attaqué en justice l’établissement. « On a réussi à démontrer que Marie a dormi là-bas et que l’établissement avait tout d’un établissement de santé » explique Nathan Hazzan, l’avocat de Marie qui l’a accompagnée tout au long de cette épreuve.

Le 5 septembre 2019, le professeur F. a attaqué en appel le premier jugement datant du 17 mai 2018. La Cour ayant confirmé le jugement le condamnant à indemniser Marie pour infection nosocomiale, il s’est pourvu en cassation. Son pourvoi ayant été rejeté, le chirurgien a été condamné.  » Selon l’arrêt attaqué rendu, le 25 février 2014, Mme Mistral a subi une réduction mammaire réalisée par M. F., chirurgien esthétique, dans les locaux d’une installation autonome de chirurgie esthétique, dénommée Clinique du docteur F.. À l’issue de l’intervention, elle a présenté une infection au niveau du site opératoire, ayant nécessité une nouvelle opération et une greffe de peau. Après avoir sollicité une expertise en référé, Mme Mistral, invoquant avoir contracté une infection nosocomiale, a assigné en responsabilité et indemnisation M. F., pris en qualité de chef d’établissement. Elle a mis en cause la caisse primaire d’assurance maladie des Alpes-de-Haute-Provence qui a sollicité le remboursement de ses débours. La cour d’appel a constaté que Mme Mistral avait contracté une infection nosocomiale dans les locaux de l’installation autonome de chirurgie esthétique dirigée par M. F..Cette installation étant soumise à une responsabilité de plein droit, il en résulte que M. F. ès qualités était tenu, en l’absence de preuve d’une cause étrangère, d’indemniser les préjudices subis par Mme Mistral en lien avec l’infection nosocomiale« .

Une ultime décision judiciaire savourée à l’échelle de la famille. car la maman de Marie a arrêté de travailler pour se consacrer à sa fille. « Elle était avec moi jour et nuit. Mon père, lui, s’occupait de mon frère qui a trois ans de moins que moi« .

Sollicité, l’avocat du chirurgien n’a pas donné suite à notre demande d’information.

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