Les Coops de l’information rapportaient lundi l’histoire de Benoît Lauzon, décédé à l’Hôpital de Hull en novembre 2021, à l’âge de 28 ans. Sa mère, Christiane Latour, a été avisée seulement 16 mois plus tard qu’il avait été victime d’une erreur de médication dans les heures précédant son dernier souffle.
À LIRE AUSSI
Ignorant tout de cette erreur médicale, Mme Latour a porté plainte au Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO) pour savoir ce qui s’était passé dans la ressource intermédiaire La Victorienne, où il demeurait depuis moins de deux mois.
Mme Latour était préoccupée à bien des égards. Elle s’inquiétait pour l’hygiène, l’alimentation, la surveillance. Elle en avait fait part à la direction de La Victorienne et au CISSSO.
Le travail de la commissaire aux plaintes et à la qualité des services du CISSSO, Marion Carrière, s’est étiré sur près de 17 mois. Son rapport de 22 pages, dont Le Droit a obtenu copie, a fortement bouleversé Christiane Latour. Pour son fils, mais aussi pour tous les autres résidents de La Victorienne – des usagers du réseau public.
La résidence gatinoise de trois étages avait ouvert ses portes le 19 juillet 2021. Entre septembre 2021 et juin 2022, soit presque un an après l’ouverture, la commissaire a reçu 11 signalements de la part de proches de résidents. «Je ne suis pas convaincue qu’à son ouverture et durant les mois suivants, la ressource intermédiaire La Victorienne était sécuritaire pour les résidents et prête à leur offrir les soins et services communs et particuliers dont ils avaient besoin», écrit Mme Carrière.
Le CISSSO avait pourtant été rapidement informé de problèmes observés sur place. Le 13 octobre 2021, quatre «fiches qualité» au contenu «préoccupant» ont été rédigées au sujet de La Victorienne.
Le rapport de Marion Carrière note que le CISSSO a fait «plusieurs rappels» aux responsables de La Victorienne, sans grand succès. La commissaire aux plaintes a ainsi déterminé que l’ouverture de la résidence «a été précipitée» et qu’elle «a été priorisée avant le bien-être des résidents à y héberger».
Le CISSSO a mis diverses mesures en place pour corriger les problèmes, mais ce ne fut pas toujours rapide. Après la production des fiches d’octobre 2021, par exemple, le CISSSO a attendu quatre mois avant d’envoyer un de ses gestionnaires à temps complet à La Victorienne.
D’une ressource à l’autre
Benoît Lauzon n’avait que 28 ans quand il est décédé. Un «p’tit Saint-Jean-Baptiste», né le 24 juin 1993. À trois ans, un accident vasculaire cérébral l’a contraint à se déplacer en fauteuil roulant. Elle-même à mobilité réduite, Mme Latour s’est résignée à confier son fils au réseau de la santé quand il avait six ans. Mais elle ne l’a jamais abandonné.
Pendant 18 ans, Benoît a vécu dans une famille d’accueil aimante avec qui il a fait toutes sortes d’activités stimulantes, une famille qui a fait de lui un amoureux des fêtes. Sur son téléphone, Christiane Latour exhibe d’ailleurs avec nostalgie une vidéo de Benoît tout souriant avec un chapeau de père Noël sur la tête, en plein mois de juillet.
Quand la mère de la famille d’accueil est décédée, son conjoint, Marcel Prévost, a dû renoncer à héberger les enfants dont le couple prenait soin. Il garde aujourd’hui d’innombrables bons souvenirs du temps passé avec Benoît. «Malgré son handicap qui était lourd, il ressentait quand les gens n’allaient pas trop bien et il nous tendait les mains en disant ‘amour, amour’ parce qu’il voulait donner un petit câlin, raconte M. Prévost. C’était un bon vivant.»
Benoît a ensuite effectué des séjours dans trois ressources avant que le CISSSO ne l’envoie à La Victorienne, le 13 septembre 2021. Il la quitté la résidence en ambulance le 2 novembre et est décédé le surlendemain.
Benoît communiquait avec «quelques mots». Il n’était donc pas en mesure d’analyser lui-même la qualité des services qu’il recevait. «Il se contentait de peu», explique Mme Latour. En tant que mère, c’est elle qui s’inquiétait.
Responsabilités non assumées et droits brimés
La lecture du rapport de la commissaire aux plaintes du CISSSO n’a pas été facile pour Christiane Latour. Elle y a entre autres lu ceci: «D’après mon analyse, j’estime que votre fils a subi de la maltraitance organisationnelle par négligence».
Quelques phrases plus loin, la commissaire affirme que La Victorienne et le CISSSO «n’ont pas suffisamment ni adéquatement [assumé] leurs rôles et responsabilités individuelles et conjointes, et ce, durant plusieurs mois, ce qui a brimé les droits des résidents […], dont votre fils».
Ce fut un choc pour Christiane Latour, mais aussi un soulagement de savoir qu’elle avait raison de dénoncer ce qu’elle voyait. Même si rien ne lui ramènera son fils, elle ne veut pas que d’autres humains vulnérables vivent de telles choses.
La commissaire Carrière, qui a constaté «des améliorations» lors d’une visite surprise à l’été 2022, a été tenue par la loi d’informer le ministère de la Santé et des Services sociaux de ses constats. Ce fut fait en mars dernier.
Dans son rapport, la commissaire a notamment recommandé que l’arrêt des admissions de nouveaux usagers soit maintenu jusqu’à ce «qu’il n’y ait plus de maltraitance». Le CISSSO a confirmé avoir cessé les admissions de février à mai 2022.
«On s’en occupe maintenant»
Sans vouloir commenter directement le rapport «pour des raisons de confidentialité», le CISSSO affirme être impliqué de manière «accrue» avec La Victorienne. Dans une réponse écrite, l’organisation a étalé une liste des mesures mises en place. On y parle entre autres de «visites d’inspection régulières», d’un «plan d’amélioration intégré de la qualité», de «plusieurs rencontres de suivis», de «visites surprises» et de la présence d’intervenants et de gestionnaires sur place.
En entrevue, le grand patron par intérim du CISSSO, Yves St-Onge, a confirmé que le plan d’action vise à «corriger des questions […] de qualité dans cette ressource-là». «La situation de 2021 […] était connue et ce n’est pas pour rien qu’on a un plan d’action aujourd’hui», a-t-il ajouté.
M. St-Onge affirme que dès qu’il a été informé de la situation, il a demandé «une rencontre d’urgence» pour s’assurer «que les correctifs soient apportés». La ressource fait «somme toute un bon travail» aujourd’hui, estime M. St-Onge. «Il y a eu quelques échappées dans le passé, mais on s’en occupe maintenant», assure-t-il.
«Ça fait quelque chose»
La copropriétaire du groupe à qui appartient La Victorienne, Cindie Mardi, a accueilli Le Droit la semaine dernière pour une visite des lieux. On y trouve des unités pour les usagers avec une déficience physique, avec une déficience intellectuelle, avec un trouble du spectre de l’autisme ou avec des troubles graves de comportement.
Même si le rapport de la commissaire aux plaintes stipule qu’une copie a été transmise aux responsables de La Victorienne, Mme Mardi soutient n’avoir jamais vu ce document.
Cindie Mardi admet que «ça fait quelque chose» d’apprendre que la commissaire a décelé des éléments relevant de la maltraitance dans la ressource qu’elle gère. «Mais moi, l’important, je trouve, c’est de s’asseoir et de trouver des pistes de solutions et de voir c’est quoi l’amélioration qu’on va faire», a-t-elle ajouté.
Selon Mme Mardi, les familles des premiers résidents s’attendaient à des services similaires à ceux offerts dans des «ressources à assistance continue», de sorte qu’«un temps d’adaptation» a été nécessaire.
La copropriétaire de la résidence note par ailleurs que tous les employés ont reçu une formation sur la maltraitance, que l’administration de médicaments se fait uniquement par des personnes autorisées, que des réunions ont lieu chaque semaine avec des responsables de la qualité du CISSSO et que des rencontres avec les familles sont organisées.
La responsable de La Victorienne n’est donc «pas d’accord» avec les conclusions de la commissaire, mais elle demeure préoccupée par les conclusions du rapport. «On a donné les soins aux usagers, assure Cindie Mardi. […] Ça me fait de la peine, parce que je trouve que ces gens-là ont droit à un beau milieu et c’est ça que j’ai comme récompense des familles. Oui, c’est sûr que ça n’a pas été parfait au début, mais il faut regarder où est-ce qu’on est rendus.»
L’autre propriétaire du groupe, Stanley Victor, a déclaré qu’il était à l’écart de la gestion des activités de l’entreprise depuis un certain temps en raison d’«ennuis de santé».
Le dossier entre les mains du Protecteur du citoyen
La commissaire aux plaintes n’a pas pu établir avec précision la trame factuelle des dernières heures que Benoît Lauzon a passées à La Victorienne le 2 novembre 2021, avant son départ en ambulance. Les images des caméras de surveillance s’effacent après deux mois, ce qui a empêché la commissaire de les consulter. «Comme vous, je me demande si son décès aurait pu être évité. Cependant, je n’ai pas de données factuelles pouvant me permettre de confirmer cette hypothèse», lit-on dans le rapport.
Christiane Latour essaye aujourd’hui de poursuivre son deuil, qui a été ponctué de découvertes toutes plus troublantes les unes que les autres. Insatisfaite de certaines conclusions de la commissaire aux plaintes du CISSSO, elle a transmis le dossier au Protecteur du citoyen, où il est toujours sous analyse.
Consternée par tout ce qui est arrivé à son fils pendant les dernières semaines de sa vie, Christiane Latour a mis ses sentiments par écrit. Avec son accord, nous reproduisons ici intégralement son texte.
À LIRE MERCREDI: Des problèmes avaient déjà été détectés dans une autre ressource intermédiaire appartenant au groupe propriétaire de La Victorienne.
L’équipe mutualite55.fr vous offre ce texte qui parle de « Défense des patients ». mutualite55.fr est blog numérique qui présente diverses informations publiées sur le net dont le sujet central est « Défense des patients ». Ce post est reconstitué du mieux possible. S’il arrivait que vous projetez de mettre à disposition des informations complémentaires à cet article sur le sujet « Défense des patients » vous pouvez écrire aux coordonnées fournies sur notre site. Consultez notre site internet mutualite55.fr et nos réseaux sociaux dans le but d’être renseigné des futures communications.